Des combats ont éclaté entre armées rivales en avril 2023 à la suite d’un échec dans la transition vers un régime civil, suite au renversement de l’ancien président de longue date Omar al-Bashir quatre ans plus tôt.
L’armée du gouvernement militaire soudanais combat les anciens combattants alliés des milices des Forces de soutien rapide (RSF) pour le contrôle du vaste pays, où plus de 12 millions de personnes ont été déracinées.
Des millions de personnes ont traversé la frontière dans ce qui constitue la plus grande crise de déplacement au monde.
Dans une interview approfondie avec Actualités de l’ONUle bureau des droits de l’homme des Nations Unies (HCDH), Li Fung, haut responsable soudanais, décrit l’ampleur des violations en cours, le besoin urgent de responsabilisation et pourquoi le courage des communautés soudanaises reste une source vitale d’espoir.
Cette interview a été éditée pour plus de longueur et de clarté
Actualités de l’ONU : Alors que nous célébrons la Journée des droits de l’homme, comment décririez-vous la situation actuelle des droits de l’homme au Soudan ?
Li Fung : Cela reste extrêmement grave. La situation est avant tout une crise des droits humains et de la protection provoquée par deux ans et demi de conflit et de violations généralisées du droit international humanitaire et du droit international des droits humains dans tout le pays.
Cela a déclenché la plus grande urgence humanitaire au monde, des déplacements massifs et des niveaux de faim choquants.
L’ampleur et la brutalité des violations que nous continuons de documenter reflètent une crise qui a bouleversé la vie de millions de personnes et privé d’innombrables Soudanais des protections fondamentales auxquelles chaque être humain a droit.
L’impact dévastateur du conflit sur la population civile est difficile à exprimer. Des villes réduites en ruines, des familles déchirées du jour au lendemain et des civils contraints de faire des choix impossibles juste pour survivre.
Mais dans ce contexte, le HCDH continue de se tenir aux côtés du peuple soudanais, de témoigner et de documenter les violations, de plaider en faveur d’actions visant à protéger les droits de l’homme et de soutenir l’ONU et la réponse humanitaire.
À l’occasion de la Journée des droits de l’homme, notre message est clair : les droits humains du peuple soudanais doivent être respectés. Toutes les parties doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international, protéger les civils et garantir que les responsables des violations soient tenus responsables. Le peuple soudanais mérite la paix, la justice et le plein respect de sa race humaine fondamentale.
Des femmes soudanaises rencontrent l’équipe du HCDH à Khartoum.
ONU Info : De nombreux Soudanais craignent que les violations en cours restent impunies. Quel mécanisme de responsabilisation existe actuellement et quel rôle le HCDH peut-il jouer pour garantir que justice soit rendue aux victimes au Soudan ?
Li Fung : La responsabilité demeure l’un des défis les plus urgents au Soudan, mais malgré les défis de la situation actuelle, il existe divers mécanismes.
Le HCDH, et en particulier notre bureau de pays au Soudan, ont un rôle très important à jouer dans la promotion de la responsabilisation. Nous continuons de documenter et de vérifier les violations du droit international dans des conditions extrêmement difficiles, dans la perspective de préserver ce qui s’est passé sur le terrain, de donner la parole aux survivants, aux victimes et aux témoins et de garantir que cela puisse alimenter les processus de responsabilisation.
Nous faisons également rapport au Haut-Commissaire [Volker Türk]qui rend compte au Conseil des droits de l’hommece qui garantit que la situation au Soudan reste à l’ordre du jour international. En outre, nous nous engageons auprès des survivants, nous défendons leurs droits et leur inclusion, et nous soutenons les efforts visant à reconstruire et à renforcer les institutions de l’État de droit capables de rendre justice.
Au niveau international, il existe également plusieurs mécanismes importants, notamment le Cour pénale internationale [ICC]qui a pour mandat d’enquêter sur les crimes internationaux.
En outre, la CPI a établi une mission internationale et indépendante d’établissement des faits au Soudan, dont le rôle est complémentaire à celui de notre bureau national. Elle documente les violations, examine les responsabilités et les crimes internationaux qui pourraient avoir été commis.
Mais parmi tous ces efforts internationaux, il est important de mettre en évidence la responsabilité nationale ; et c’est pourquoi nous travaillons avec différentes institutions chargées de l’état de droit pour rechercher les capacités nécessaires pour faire progresser la responsabilité et la justice pour le peuple soudanais.
ONU Info : Comme nous le savons tous, l’accès aux zones touchées au Soudan et en particulier au Darfour est extrêmement limité. Comment la communauté internationale peut-elle soutenir de manière significative la documentation des violations des droits humains dans ces domaines ?
Li Fung : En ce qui concerne la réponse à la crise au Soudan, le soutien de la communauté internationale est vital à bien des égards. Premièrement, pour financer la réponse aux droits de l’homme, la réponse humanitaire nécessite des ressources pour pouvoir répondre aux besoins urgents et aux priorités de la population soudanaise.
Deuxièmement, l’action politique. Les États Membres ont un rôle extrêmement important à jouer dans le respect du droit international, en usant de leur influence pour faire pression en faveur du dialogue, en faveur de la paix, pour parvenir à un cessez-le-feu, pour mettre réellement fin aux flux d’armes, pour progresser en matière de responsabilisation et de justice pour le peuple soudanais.
La documentation des violations sur le terrain est essentielle à tous ces efforts, car elle éclaire réellement les efforts déployés en réponse aux besoins humanitaires, aux priorités de la population, pour faire progresser la protection des civils à travers des actions très concrètes et mesurables.
L’équipe du HCDH au Soudan écoute les femmes soudanaises à Khartoum.
ONU Info : Ce n’est pas la première fois que le Soudan est témoin de telles violations des droits de l’homme – et beaucoup attribuent cela à des décennies d’impunité. Quelles actions concrètes la communauté internationale doit-elle entreprendre pour enfin briser ce cercle vicieux de l’impunité ?
Li Fung : L’impunité alimente des cycles persistants de violence et de violations. Des mesures concrètes peuvent être prises, notamment en soutenant tous les efforts visant à rechercher les responsabilités, en soutenant l’établissement des faits, le suivi et la documentation, ce qui conduira à des processus de responsabilisation qui appelleront réellement à la protection des civils et à des enquêtes.
Il est également essentiel d’inclure la responsabilité sur le chemin vers la paix au Soudan, ainsi que de plaider pour l’inclusion de toutes les voix du peuple soudanais de tout le pays, afin de parvenir à un avenir durable et pacifique pour le Soudan.
ONU Info : Enfin, y a-t-il une lumière au bout du tunnel concernant la situation des droits de l’homme ?
Li Fung : Oui, malgré les immenses souffrances que nous constatons et l’ampleur des violations que nous continuons de documenter, la lumière est là, et elle vient avant tout du peuple soudanais lui-même.
Malgré d’énormes défis, les défenseurs des droits humains soudanais, les volontaires humanitaires locaux ainsi que les groupes et réseaux communautaires continuent de faire preuve d’un courage et d’une persévérance extraordinaires.
Leur résilience et leurs initiatives pour soutenir leurs propres communautés soulignent le besoin urgent d’un maintien international durable, de mesures de protection plus strictes et d’un accès humanitaire sans entrave. Leur détermination, même dans les villes effrayées par les conflits, est un puissant rappel que les fondements d’un avenir juste et durable existent toujours.
Je pense qu’il y a aussi de l’espoir dans l’attention renouvelée portée à la situation au Soudan. Il est regrettable qu’en dépit de nombreux avertissements sur les risques d’atrocités et de violations généralisées, ce ne soit qu’une fois que cela s’est produit que l’attention internationale a commencé à se porter sur le Soudan. Mais maintenant, nous devons saisir ce moment. Nous continuerons à être aux côtés du peuple soudanais.

