Un an après leur premier rapport au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le nouveau rapport de Myria et l’IFDH reste alarmant : non seulement la Belgique n’a pas amélioré sa gestion de l’accueil, mais elle annonce et prend de nouvelles mesures qui risquent de multiplier les violations des droits fondamentaux des demandeurs d’asile. Par ailleurs, des milliers de décisions de justice ne sont toujours pas mises en œuvre par les autorités belges, et ce de manière délibérée.
En 2023, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la Belgique, dans l’arrêt Camara, pour ne pas avoir mis en œuvre une décision judiciaire lui ordonnant d’héberger un demandeur d’asile, resté sans solution pendant cinq mois. Dans cet arrêt, la Cour avait constaté une « carence systémique » des autorités belges, responsables d’« un refus caractérisé » de se conformer aux décisions judiciaires.
Encore plus de 1.900 demandeurs sur liste d’attente
La situation humanitaire reste toujours extrêmement préoccupante. Le 8 septembre 2025, ils étaient encore plus de 1.900 demandeurs d’asile à être inscrits sur liste d’attente, alors qu’ils devraient pouvoir bénéficier d’une place dans un centre d’accueil dès le premier jour. Depuis le début de l’année 2025, le délai moyen d’attente se situe entre 3 et 4 mois. Dans la mesure où l’inscription sur la liste d’attente n’est pas automatique, le nombre total de demandeurs qui ne sont pas accueillis est inconnu.
Pendant ces mois d’attente, la situation de ces personnes est très précaire. Certaines trouvent refuge chez des connaissances ou dans les hébergements humanitaires d’urgence, tandis que d’autres sont livrées à elles-mêmes dans des squats ou à la rue.
Quatre reculs majeurs annoncés
Alors que le Conseil de l’Europe recommandait, l’année dernière, à la Belgique d’augmenter la capacité d’accueil et de mobiliser tous les outils légaux disponibles pour remédier à la situation, le gouvernement fédéral prend des mesures régressives.
Pour Myria et l’IFDH, les décisions prises par le gouvernement fédéral constituent un recul majeur en matière d’accueil :
- La réduction de la dotation de Fedasil jusqu’à 83 % d’ici 2029 : cette économie budgétaire (de 838.004.000€ en 2023 à 138.239.000€ en 2029) affaiblira fortement le réseau d’accueil à long terme et risquera de pousser davantage de demandeurs de protection internationale à la rue.
- La réduction de la capacité d’accueil : le nombre de places d’accueil n’augmentera pas dans les prochains mois alors que le réseau est saturé depuis plusieurs années, que le nombre de demandes d’asile ne diminue pas et que le délai de traitement moyen des dossiers a atteint près de 500 jours dans les premiers mois de l’année 2025. Le gouvernement prévoit de réduire sensiblement le nombre de places d’accueil, en commençant par les places situées dans les petites structures, plus adaptées aux profils vulnérables.
- La suppression de l’accueil sous forme d’aide financière : retirer de la législation la possibilité d’octroyer, exceptionnellement en cas de saturation du réseau, une aide financière à la place d’une aide matérielle en centre constitue un grave recul de la protection des demandeurs d’asile. Cette décision est difficilement compréhensible dans la mesure où le gouvernement se prive ainsi d’une piste de solution à la crise.
- La réforme envisagée du Conseil du contentieux des étrangers : le gouvernement souhaite examiner la possibilité de transférer le contentieux d’accueil des tribunaux du travail vers le Conseil du contentieux des étrangers (CCE). Il a aussi annoncé des réformes qui mettent en péril le droit à un recours effectif et à un procès équitable pour les étrangers et qui constituent une atteinte grave à l’indépendance du CCE et au principe de séparation des pouvoirs.
Incompatible avec un État de droit
L’IFDH et Myria pointent surtout une évolution inquiétante : le gouvernement fédéral assume, de manière consciente et en toute connaissance de cause, une situation devenue inhumaine et dégradante pour les personnes concernées et indigne d’un État de droit. En décidant ne pas exécuter les décisions de justice, les autorités belges privent ces personnes de l’effectivité de leur recours : elles se retrouvent donc dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits.
Depuis janvier 2022, près de 15.000 décisions judiciaires ordonnant l’hébergement de demandeurs de protection internationale ont ainsi été prononcées par les juridictions nationales, dont près de 11.000 ont été officiellement signifiées à Fedasil. Au niveau international, ce sont plus de 2.300 décisions (mesures provisoires) qui ont été prises par la Cour européenne des droits de l’homme dans le même sens. Ces milliers de décisions de justice ne sont délibérément pas exécutées par les autorités belges. Les astreintes prononcées par les tribunaux, qui s’élèvent à 10,7 millions d’euros en septembre 2025, ne sont pas davantage payées. Estimant qu’un jugement ne changera rien, de plus en plus de personnes concernées renoncent à saisir la justice et donc à faire valoir leurs droits. Il s’agit d’une érosion profonde d’un des principes fondamentaux d’un État de droit.
Les deux institutions publiques indépendantes ont adressé leurs recommandations au Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Elles appellent notamment le gouvernement fédéral à garantir un accueil digne et conforme à la loi, à ne plus exclure systématiquement certaines catégories de personnes, à respecter les décisions judiciaires et à prendre des mesures structurelles et durables, à la hauteur de la gravité de la situation. Tant que ces mesures ne seront pas mises en œuvre, la Belgique continuera à violer ses engagements internationaux et s’expose à de nouvelles condamnations.